Dix ans de gastronomie végétale : les apprentissages d’un parcours engagé

par | 26 Oct 2025 | Portrait

Depuis dix ans, je côtoie des professionnels qui ont fait le choix de travailler le thème de la gastronomie végétale.

J’ai créé l’Institut de la Gastronomie Végétale en 2020, dans une période pleine d’incertitudes liée à la crise sanitaire.

Mais en réalité, mon intérêt pour la gastronomie végétale remonte à l’année 2015, alors que je constatais le manque d’offre végétalienne dans le monde de l’hôtellerie-restauration.

Aujourd’hui, pour célébrer ces dix années de travail, je vous propose un article un peu particulier. Moi qui ai l’habitude de donner la parole aux autres, j’ai souhaité explorer un nouveau format dans lequel c’est à mon tour d’être interviewée.

Et pour cet exercice, j’ai proposé à mon ami Thomas Tieyre de m’interviewer, dans un échange simple, amical et sincère.

C’est l’occasion pour moi de poser un regard sur le chemin parcouru et de mettre en mots ce que ce sujet m’a permis de comprendre — sur le monde, sur les autres, sur moi-même.

Cette interview est une manière de marquer un cap, de raconter d’où je viens, ce que je porte, ce que j’ai appris… et ce vers quoi j’ai envie d’aller à partir d’aujourd’hui.

La gastronomie végétale continue de m’inspirer, de me challenger, et surtout, de me ramener à ce qui compte vraiment pour moi — le respecte de la nature et du vivant.

Karine Castro


Bonjour Thomas ! Merci d’avoir accepté mon invitation. Je suis ravie de t’accueillir pour cette interview spéciale. 

Tu es un ami de longue date. Nous nous sommes rencontrés lors d’un atelier de cuisine végétale et nos échanges m’ont toujours beaucoup nourrie. C’est tout naturellement que je t’ai proposé de jouer ce rôle d’intervieweur aujourd’hui pour célébrer cette étape des dix ans.

Mais avant de démarrer, je te propose de te présenter à nos lecteurs.

Salut Karine, merci de m’avoir proposé de te poser ces questions pour revenir sur tes 10 ans d’aventure dans la gastronomie végétale. Un sacré défi ! J’espère que nous y arriverons du mieux possible.

Notre rencontre date de la période où nous habitions Paris tous les deux (cela ne nous rajeunit pas !) et nous nous sommes tout de suite retrouvés sur le terrain des valeurs et de l’engagement à travers nos projets respectifs à l’époque.

Évoluant dans l’entrepreneuriat à impact/engagé depuis 8 ans environ, j’ai accompagné les solopreneurs engagés à développer leur entreprise depuis 5 ans et j’oriente désormais mon accompagnement vers des structures de taille supérieure.

1. Origines et déclics fondateurs

Qu’est-ce qui t’a amenée à t’intéresser à la gastronomie végétale ?

Depuis mon plus jeune âge, l’alimentation a toujours été une source de questionnements et m’a amenée progressivement à m’intéresser à la santé.

Sensible à la nature et au bien-être animal, j’ai vite compris en grandissant qu’il fallait respecter le vivant si nous voulions préserver notre équilibre.

Un jour, j’ai eu une vraie prise de conscience en regardant un reportage de Yann Arthus Bertrand qui évoquait l’industrie agro-alimentaire, et à ce moment-là j’ai cessé de manger de la viande.

Quelques années plus tard, alors que j’étais salariée dans une grande entreprise, j’ai eu un autre déclic, et j’ai alors arrêté de manger du poisson, des œufs et des produits laitiers. Parce que j’étais dans un environnement professionnel qui impliquait les repas à la cantine, les séminaires, les repas d’affaires… j’ai compris la difficulté de manger végétarien (et encore plus végétalien) dans ce contexte.

Je me suis surtout aperçue que les Chefs avaient de vraies difficultés à comprendre les clients végétariens / végétaliens et à leur faire à manger. J’ai également constaté que la cuisine végétale était encore très marginalisée, voire critiquée, avec cette vision générale d’une cuisine assez fade, qui manque de gourmandise, axée uniquement sur les légumes.

A ce moment-là, nous étions en 2015, de nouveaux concepts culinaires commençaient à émerger, notamment à Paris, avec des restaurants et des pâtisseries vegan, dont certains avaient déjà un niveau de qualité élevé.

Quelle a été ta première étape dans cet univers de la gastronomie végétale ?

Ma première étape a été de créer un blog que j’ai appelé Graines de Papilles, pour montrer justement cet univers qui était encore peu connu. J’ai voulu apporter à ce média, une dimension haut de gamme qui manquait dans ce que l’on voyait alors en gastronomie végétale et qui me tenait à cœur de mettre en avant.

Je suis allée à la rencontre des Chefs, pour les connaître, mais aussi pour mieux comprendre leurs démarches et mesurer leur intérêt pour ce thème culinaire. Je découvrais leurs restaurants, je dégustais leur cuisine, et si j’estimais que l’expérience était intéressante, j’écrivais un article sur mon blog.

Tu as exploré les grands salons gastronomiques à l’époque… Qu’est-ce que tu y cherchais ? Qu’est-ce que tu y as trouvé ?

Mon blog m’a effectivement permis d’aller sur des grands salons de gastronomie, en tant que professionnelle de la presse.

Mon premier salon a été le Chefs World Summit à Monaco, puis je suis allée au Sirha, à Omnivore, à Serbotel, à EquipHotel, au Sirha Green…

Mon intention était de découvrir l’univers de la gastronomie traditionnelle, d’observer les tendances et d’identifier les Chefs curieux de cette gastronomie végétale, avec lesquels j’allais pouvoir discuter. 

J’y ai trouvé une grande source d’inspiration, j’y ai fait de belles rencontres et j’ai compris qu’il y avait autant de manières de pratiquer la cuisine végétale qu’il y a de Chefs. 

Cette expérience m’a permis de confirmer certaines choses, d’apprendre beaucoup des Chefs, de me connecter au monde de la restauration et de côtoyer l’univers de la presse que j’aime beaucoup.

2. Les étapes clés du parcours

Parle-nous de ta première collaboration marquante en gastronomie végétale en hôtellerie ?

Mon expérience la plus marquante a été celle du Marché de Noël à l’Hôtel Mandarin Oriental Paris, avec le Chef Thierry Marx, que j’ai eu la chance de rencontrer. 

Il m’a donné l’opportunité d’organiser un stand 100% végétal au Marché de Noël du Mandarin, où j’ai pu faire venir plusieurs marques de cuisine et de pâtisserie végétale qui étaient précurseurs à l’époque, comme le Gentle Gourmet, Le Potager de Charlotte, Jay&Joy…. 

Une vraie découverte pour le Chef et les clients de l’hôtel. L’opportunité aussi de positionner ces marques dans un univers haut de gamme, et de montrer qu’il était possible d’amener cette cuisine végétale à ce niveau d’expérience.

Pourquoi avoir lancé l’Institut de la Gastronomie Végétale, et avec quelle mission en tête ?

Peu à peu m’est venue l’idée de créer une marque plus englobante, qui puisse faire rayonner la gastronomie végétale dans le paysage culinaire français.

Après plusieurs années à aller à la rencontre des Chefs, à documenter la gastronomie végétale à travers des témoignages, des interviews, des contenus pédagogiques… j’ai senti qu’il fallait aller plus loin et ancrer cette démarche dans un projet plus vaste, qui s’adresserait aux professionnels de l’hôtellerie-restauration.

J’ai quitté le salariat pour me consacrer pleinement à ce projet, en assumant pour la première fois une posture entrepreneuriale.

J’ai lancé l’Institut de la Gastronomie Végétale (Institut V) en 2020, en pleine année Covid. Ce contexte a agi comme un déclencheur. D’abord il a renforcé ma conviction que nous avions besoin de repenser en profondeur nos modèles et nos manières de faire. J’ai d’ailleurs vu beaucoup de Chefs se remettre en question à ce moment-là et modifier complètement leurs menus pour aller vers une cuisine plus végétale.

Ce contexte particulier m’a aussi permis de mobiliser de nombreux Chefs, comme Régis Marcon, Christophe Moret, Pierre Hermé, Nicolas Cloiseau, Johanna Le Pape ou Frédéric Bau, pour les fédérer autour de ce sujet, au travers de rencontres en ligne et d’interviews que j’ai organisées pendant plusieurs années, avec un plaisir immense à chaque fois.

Avec l’Institut V, j’ai voulu créer un média de référence, capable de valoriser cette nouvelle cuisine et de faire dialoguer les Chefs entre eux, sur leur vision de la cuisine végétale.

Comment as-tu fait évoluer l’Institut V ?

Mon intention, au départ, était de créer un lieu d’influence, à la fois média, espace de réflexion et outil de sensibilisation. Il y avait, à mon sens, un pont à créer entre deux mondes : celui de la cuisine végétale et celui de la gastronomie traditionnelle. Avec la haute technicité culinaire d’un côté et l’innovation de l’autre, je trouvais intéressant de faire côtoyer ces deux univers pour développer les connaissances et apprendre ensemble.

D’ailleurs, pendant la période Covid, j’ai reçu de nombreuses sollicitations, notamment des personnes en reconversion professionnelle qui voulaient se lancer dans cette thématique. J’ai aussi reçu des demandes de la part d’entreprises de restauration ou des groupes hôteliers qui voulaient former leurs équipes. Cela montrait déjà un intérêt de la profession pour cette thématique innovante.

Rapidement, l’idée de créer un programme de formations m’est venue en tête et je me suis entourée de Chefs pour co-créer des contenus pédagogiques. On a testé ce modèle pendant un certain temps, mais il était complexe à mettre en place et j’ai préféré me concentrer sur des choses plus simples, plus accessibles.

L’Institut V est aujourd’hui une marque éditoriale et un espace qui permet de donner de la visibilité et de la légitimité à ce sujet, avec un volet “Conseil” qui me permet d’accompagner les professionnels dans le développement et la communication de leur offre végétale.

Tu as aussi créé ton agence de communication. Qu’est-ce qui t’a poussée à le faire en parallèle du projet déjà existant ?

Au fil des années, grâce à ce projet, je me suis spécialisée dans la thématique de la gastronomie végétale et je me suis naturellement tournée vers le secteur de l’hôtellerie-restauration. Mais je voulais aussi pouvoir accompagner des projets dans d’autres secteurs d’activités. 

Créer mon agence était pour moi l’opportunité de rassembler mes compétences en communication (c’est après tout mon cœur de métier) et de clarifier mes différents rôles. 

Quels sont les principaux freins au développement de la gastronomie végétale, selon toi ? 

A mon sens, il y a plusieurs freins, à différents niveaux. Le premier est la méconnaissance du sujet. Beaucoup de professionnels de la restauration, qui sont surtout formés à la cuisine traditionnelle, n’ont pas encore eu l’occasion de découvrir ce que la gastronomie végétale peut réellement offrir en termes de goût, de créativité, de technicité. Elle est encore trop souvent perçue comme une cuisine de privation, alors qu’elle peut être une cuisine d’abondance, d’authenticité et d’inventivité, liée à des valeurs fortes.

Le deuxième frein est le manque de formation. Les écoles hôtelières proposent encore peu de contenus spécifiques sur la cuisine végétale. Les Chefs doivent donc souvent se former et expérimenter par eux-mêmes. Cela demande du temps, de l’énergie, parfois des moyens. 

Il y a aussi des freins culturels. La France a une culture gastronomique très forte et dans certaines régions les habitudes alimentaires sont profondément ancrées. Ce qui fait que, chez certains publics, la remise en question de ces habitudes peut créer de fortes résistances.

Personnellement, surtout au lancement de l’Institut V et quand j’en parlais dans les événements, j’étais confrontée à une forme de résistance de la part de certains Chefs. J’ai parfois eu le sentiment de devoir justifier l’intérêt de mon travail, de convaincre encore et encore, en essayant de comprendre par quel angle je pouvais le mieux aborder la question. 

J’ai aussi perçu des freins économiques. Cette offre spécifique demande un investissement de temps, de ressources techniques, humaines et financières parfois, que certains professionnels ne peuvent pas se permettre. 

Cependant, je vois quand même les choses évoluer. Et je crois que ce qui pourrait lever ces freins repose sur la pédagogie. Plus on donne à connaître des projets inspirants, en montrant que ça existe et que c’est possible, plus on crée de l’envie et on installe le végétal dans le paysage gastronomique.

3. Une vision éditoriale et engagée

Dans tes interviews, tu demandes souvent aux Chefs leur définition de la gastronomie végétale. Quelle est la tienne aujourd’hui ?

Pour moi, la gastronomie végétale est une invitation à observer le monde autrement. C’est une porte d’entrée vers plus de conscience. Elle nous pousse à ralentir, à questionner nos habitudes, à nous reconnecter au vivant — à ce qui nous nourrit vraiment, dans toutes ses dimensions.

Elle n’est pas seulement un choix alimentaire. C’est une posture. Une manière d’être au monde avec plus de respect, de curiosité, d’intuition.

Comment la communication peut-elle, selon toi, accompagner cette transformation du monde culinaire ?

La communication, quand elle est juste et sincère, peut devenir un levier puissant de transformation.

Dans le monde culinaire, elle ne se limite pas à “faire connaître” une offre. Elle permet de raconter une histoire, une intention, une vision, une manière personnelle d’incarner son métier. Elle relie par exemple les valeurs du Chef à celles de son public.

C’est là que la communication éditoriale entre en jeu : à travers les mots, il est possible de tisser un lien plus profond, plus authentique et créer une passerelle entre l’engagement du professionnel et la sensibilité du client.

Quand elle est sincère, la communication peut inspirer les autres, transmettre des valeurs, apporter des enseignements, affirmer un positionnement

Pour un Chef, c’est de raconter qui il est, ce qu’il défend et pourquoi ça compte pour lui. C’est dans cette vérité que les clients se reconnaissent, qu’ils s’attachent, qu’ils aiment et qu’ils reviennent.

4. Le présent : ancrage et perspectives immédiates

Où en es-tu aujourd’hui, après ces dix ans de travail sur la gastronomie végétale ?

C’est un sujet qui me passionne toujours autant et qui m’a amenée à m’intéresser  à d’autres sujets complémentaires que j’étudie en parallèle, comme la nutrition-santé.

Entretemps, je me suis installée au Portugal, le pays de mes racines familiales. En arrivant ici, j’ai compris l’importance de la culture alimentaire et de tout ce que cela implique.

Dans ma région, il y a beaucoup d’hôtels et de resorts, et je m’intéresse de plus en plus à leurs pratiques en termes de développement durable.

J’ai d’ailleurs créé une newsletter sur LinkedIn – « Sustainable Luxury Insights » – qui vise à promouvoir les initiatives durables dans les industries du luxe, celle de l’hôtellerie-restauration bien sûr, mais aussi du tourisme, de l’immobilier et du bien-être.

Pour moi, le végétal fait partie de la gastronomie durable et cela fait du sens pour moi d’intégrer ce thème dans une vision plus holistique, et d’encourager les groupes hôteliers à s’approprier le sujet. 

5. L’avenir : ce que tu veux construire

Qu’aimerais-tu mettre en place dans les dix prochaines années ?

Je suis dans une région où il y a de nombreuses opportunités en termes d’hôtellerie-restauration puisque très touristique et tournée vers l’international.

J’ai envie de valoriser cet aspect multiculturel dans mon travail et d’aborder davantage le thème du développement durable qui s’inscrit complètement dans ma vision du monde. 

Je voudrais aussi organiser un Événement Signature autour de la gastronomie végétale. C’est mon rêve depuis le début de ce projet. L’idée de créer un événement Premium dédié à la gastronomie végétale est restée dans ma tête depuis dix ans. J’ai une image assez claire de ce que je voudrais faire et j’espère pouvoir le réaliser un jour, à ma manière, avec des partenaires de confiance.

Comment vois-tu l’avenir de la gastronomie végétale ?

Je vois l’avenir de la gastronomie végétale comme une évidence, une transformation en profondeur de notre manière de cuisiner, de consommer, de nous relier au monde.

Elle porte en elle une vision : celle d’une cuisine qui a du sens, qui nourrit autrement, qui honore le vivant.

C’est une gastronomie d’écoute, de créativité, d’engagement.

Elle nous invite à repenser notre rapport à l’alimentation : non plus comme un simple acte de consommation, mais comme un acte conscient.

Je crois que cette cuisine sera demain encore plus audacieuse, inventive, désirable

Je continue de croire que la clé est entre les mains des Chefs qui ont un vrai rôle à jouer pour nous faire comprendre et aimer cette cuisine végétale.

Elle continuera de bousculer les codes, de rassembler les savoirs qui se développent au fil du temps, de valoriser les terroirs, les territoires, tout en plaçant l’éthique, la santé et le respect de la nature au cœur de la démarche.

Pour conclure : si tu devais transmettre un message aux jeunes professionnels de la restauration et de la communication qui hésitent à se lancer dans cette voie, quel serait-il ?

N’ayez pas peur de suivre vos intuitions, d’oser le changement, de remettre en question le statu quo. La voie de la gastronomie végétale est pleine de sens et d’opportunités pour les générations à venir. 

Je crois humblement faire partie de celles et ceux qui ont semé des graines pour rendre le terreau fertile. 

Et malgré les tempêtes, et le chemin qui peut parfois sembler incertain, chaque geste compte pour la construction d’un monde plus juste et plus respectueux.

Suivez vos passions avec conviction, audace et fermeté, sans vous décourager. Et surtout, sachez que vous n’êtes pas seuls : cette transformation est collective, et c’est ensemble que nous réussirons à changer ce qui doit l’être.

Où peut-on te retrouver sur les réseaux sociaux ? 

On peut me retrouver principalement sur LinkedIn et Instagram où je partage régulièrement des réflexions, des inspirations liées à la gastronomie végétale, mais aussi la communication, la durabilité, et plein d’autres sujets. 

Pour retrouver Thomas, rdv sur son profil LinkedIn.

Merci Thomas. 

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